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« Quelqu'un frotte l'or très fort »

PIERRE LARTIGUE, DES POÈMES COMME DES ÎLES

SOUS LE SCEAU DU TABELLION, 2019

 

Il faut avoir la curiosité d'aller voir ce que cachent les coordonnées qui sous-titrent les 9+1 chapitres de ce qu'on pourrait appeler une anthologie d'inédits, ouvrage posthume de Pierre Lartigue, publié aux éditions Sous le Sceau du Tabellion. Île-de-Bréhat. Île-de-Batz. Ouessant. Île-Molène. Île-de-Sein. Groix. Île-aux-Moines. Belle-Île-en-Mer. Île-d'Houat. Un poème en forme de chapelet de noms que n'aurait pas renié Jude Stefan, grand amateur de toponymie. Un chapelet d'îles aux confins des terres d'Europe, pour une voix poétique en archipels. Seule exception : Tarquinia en Italie, dernier point sur la carte à être mentionné, opportunément choisi comme point final à ce volume et qui commence par ces mots : « Disparaître je veux bien / mais que ce soit dans une de ces chambres peintes (...) ».

Décrit comme un écrivain discret, Pierre Lartigue n'en fut pas moins reconnu par ses pairs, notamment Aragon qui lui écrivait :« (…) vous êtes un des rares poètes qui comptent aujourd'hui et qui compteront demain ». Pourtant, cela ne suffira pas à faire de sa poésie aérienne et insouciante une valeur sûre dans les esprits de ses contemporains. Critiques et éditeurs font la fine bouche ; ainsi commente-t-il quelques-unes de ses péripéties dans le milieu : « (…) mes poèmes / Gallimard dit que cela manque de qualités littéraires / Ô je t'aime mon petit chardon ». Sans en prendre particulièrement ombrage (il recroisera le chemin du célèbre éditeur, et fructueusement, par la suite, à trois reprises), il poursuit son ouvrage, inlassablement léger. En témoigne « (l)e monde ses putains ses dagues et ses dogues », le pays tout entier à la merci des échos des éclats de voix du poète : la capitale et la lande, la neige et la « (…) colline à demi morte ». On flotte au-dessus d'un décor à l'abandon, une scène de bataille, mélancolique et possédé, en exil de soi. Un exil fait de sauts de puce, « souvenirs inventés de toute pièce, mensonges contenant leur part de vérité (...) », exil dans une mémoire dont les éléments ont été saupoudrés sur la page, dans un style d'une désinvolture réjouissante.

Le poème « Hôtel des ventes » retient mon attention plus particulièrement, à la lecture de cet ensemble. Poème capharnaüm, liste, poème-long singeant la triviale prise de notes avec une minutie et une drôlerie diabolique : « (…) une foule invraisemblable où pourrait bien se côtoyer tout ce que la ville possède de Beaumôme et de Toulouche, de Piplette et de Père Moche, brocanteurs voûtés, grappe de filous, de harpies muettes, grigous. »On n’en finit pas de s’émouvoir en lisant la poésie de Pierre Lartigue, le voyage est à portée de stylo, roboratif et abondant. Quelque chose de rabelaisien aussi, dans cette manière d'inventorier et de savourer le monde d'un œil aussi bienveillant que narquois.

S'ensuivent quelques poèmes plus expérimentaux (dont quelques jeux oulipiens) qui nous laissent penser qu'il y a probablement un monde en dormition dans l’œuvre du poète injustement méconnu. L'éventail est énorme, de « J'escriz et grave à toute force », sur deux pages qui se répondent, à la quatorzine « Kistch », où la forme, implacable, entre au service de cet art d'écrire truculent et libre, où l'on devine le travail, la volonté de faire totalité, écrire pour épouser. « Quelqu'un frotte l'or très fort », écrit Lartigue, tant il sait ce qu'il faut d'abnégation pour sonner juste, embrasser le monde et briller tout à la fois.

 

 

PIERRE ANDREANI

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